LA DERNIERE ICONE AMERICAINE DU MAITRE DU POP ART
BillyBoy* Andy Warhol & Barbie
par Paige Powell, 2005.
C'est à New York, vers 1985 que j'ai fait la connaissance de BillyBoy* qui m'a été présenté par Andy Warhol, mon patron, et tout naturellement, je suis tombée sous le charme de ce personnage exotique, romantique et exquis.
C'est BilyBoy* qui a eu l'idée de génie de dire à Andy de faire le portrait de la poupée Barbie, et c'est pourquoi il s'est retrouvé à notre bureau, plus connu sous le terme de «Factory».
On s'est mis à passer pas mal de temps ensemble, à se balader en ville dans sa propre limousine ou dans celle mise à sa disposition par Mattel, avec le poète/ artiste René Ricard et Andy, d'autre fois dans la voiture avec chauffeur de Stuart Pivar, en route pour L'Odeon, Mr Chows ou des marchés aux puces sur le West Side, des salons d'antiquaires à l'Armory ou encore jusqu'à Harlem pour visiter le musée de la poupée dans une ancienne maison de ville et déjeuner à LaFamille, un bar/restaurant jazz, avant de filer au Beverly Hills bar ou au Lenox Lounge.
J'observais BillyBoy*, ses élégants gestes de la main, ses poignets ornés de bracelets Schiaparelli en pierres facettées, ses costumes parisiens parfaitement coupés et parfois un chapeau d'une allure folle.
Toujours sublime avec une touche à la Dorothy Parker, une posture parfaite, de belles manières, un sens de la conversation étudié et une curiosité vorace pour absolument tout. Je dis bien tout.
BillyBoy* est un fin connaisseur de tout ce qui est visuellement étonnant, avec un goût particulier pour ce qui est extravagant. Son sens de l'humour tous azimuts voit charme et beauté pratiquement partout. Il trouvera toujours quelque chose de fascinant dans les objets les plus banals; iradiant l'optimisme et la volonté de se distraire par la plus pluvieuse des journées.
J'ai accompagné Andy au dévoilage de la peinture de la poupée Barbie appelée "Portrait de BillyBoy*". C'était dans un grand espace commercial sur une jetée dans le Westside, avec des hommes d'affaires en costume trois pièces qui courraient de tous les cotés et un podium surélevé sur une petite scène avec un microphone. A coté de Andy se tenait BillyBoy,* portant un pyjama de soie à effet marbré et une tonne de bijoux Schiaparelli, abondamment arrosé de «Shocking", son parfum fétiche.
L'événement eut toute la tension dramatique et scénique d'un lever de voile lorsque le foulard noir qui couvrait la toile fut retiré par Andy pour révéler ce tableau exceptionnel, sous un tonnerre d'applaudissements. Et tout cela grâce à BillyBoy * et à son imagination splendide.
Andy était totalement excité par le projet Barbie et adorait BillyBoy* dont admirait le talent et appréciait la compagnie, toujours si drôle. Andy aimer beaucoup trainer avec lui dans les brocantes et marchés au puces.
Son flair unique, sa compréhension innée de la folie et de la psychologie humaines et de tous ses sous-produits placent d'emblée BillyBoy* sur le piédestal de l'ultime Neo-Nature Boy. (...)
(article in extenso dans Frocking Life)
Genèse d'un portrait extraordinaire
"Si tu veux absolument faire mon portrait, fais celui de Barbie, parce que Barbie, c'est moi"
L'ultime icone de Pop Art Américaine
"Superstar" Barbie
Mais le plus fascinant de ce choix est que la Barbie à l'origine de ce tableau historique est une "Superstar Barbie", terme utilisé par Mattel depuis les années 1970 et qui fut, comme chacun sait, inventé par Warhol pour ses effigies de la factory. Lorsque BillyBoy* le lui fit remarquer, il fut très amusé par cette coïncidence. Le choix de la Barbie au large sourire s'est donc révélé idéal, car il représente à lui seul tout l'esprit des années 1980 de l'époque d'Ivana Trump: un sourire éclatant, de grands yeux bleus sentimentaux et une chevelure à la Dallas comme seule les américaines peuvent en porter. Le visage de cette Barbie de sitcom renvoie, de façon subliminale, aux versions kitsch de la Vierge Marie, à la bonté universelle, dont l'amour est infini. Une poupée Barbie des années 1950, au maquillage de type "glamour radical" chipé à l'iconique Bild Lilli aurait résulté en un portrait néo-rétro, évoquant ceux de Liz Taylor.
Comme je l'ai dit précédemment, la première fois que je vis ce tableau, déballé par BillyBoy* dans le salon aux murs lavande et à la moquette vert amande de notre appartement rue Etex à Paris, je fut littéralement foudroyé par sa force magnétique. A la place du portrait de mon compagnon, je découvrais celui de la poupée la plus populaire du monde, une idée toute simple et géniale matérialisée en une oeuvre d'art exceptionnelle. Pendant près de trente années nous avons vécu avec ce portrait sur nos murs, au gré de nos déménagements, qui nous ont mené de Paris à Trouville puis en Suisse. J'ai pu sentir, au fil des années, grandir sa pertinence en tant qu'oeuvre d'art contemporain, que je n'hésite pas à qualifier de majeure en regard de sa genèse et du discours artistique de son créateur. J'ai souvent pensé que j'aimerais voir une exposition de portraits de femmes au sourire énigmatique avec La Mona Lisa, le Portrait de Dora Maar de Picasso et enfin la Barbie de Warhol et couvrir ainsi plus de 400 années de la Renaissance à l'Art Moderne et l'Art Contemporain.
Warhol et son siècle
Si je devais résumer la peinture du XXème siècle par trois artistes, au risque d'être en désaccord avec plus d'un connaisseur, je choisirais Picasso, Dali et Warhol. Picasso pour son travail de sape de l'héritage du 19ème siècle, lui qui, selon Dali lui même " a tué l'art moderne (…) avec toute la violence de son anarchisme ibérique". Dali qui peut (avec Magritte) représenter - pour simplifier cela va de soi- à lui seul l'essence du Surréalisme. Ce mouvement artistique, contrairement à beaucoup d'autres du siècle passé, trouve encore une résonnance curieusement présente dans notre époque où tant de choses et d'événements semblent plus que jamais surréalistes. Contrairement à Picasso qui fit tout son possible pour s'éloigner du classicisme, Dali ne jurait que par lui en plaçant au dessus de tout Vermeer et Raphaël dont il revendiquait et certainement maitrisait la technique, malgré son affirmation d'être un mauvais peintre. Picasso et Dali appartenant à l'Art Moderne, Warhol survole à lui seul tout l'Art Contemporain. Dessinateur et portraitiste, il exprima sa fascination pour les produits industriels, la culture populaire et ses médiums (télévision, cinéma, photographie, publicité, presse) par une oeuvre foisonnante qui apparaît, avec le recul des décennies, comme l'une des plus pertinentes et visionnaires de son époque.
Une chose certaine est que ces trois artistes ont eu, chacun dans leur style, un sens inné de la publicité. Au delà de son style et de son humour paradoxal, le génie de la communication chez Warhol est comme estampillé par cette perruque blanche qui le rend instantanément reconnaissable et pour toujours jeune. De tous les artistes de son siècle, il est sans aucun doute celui qui le premier a anticipé la multiplication à l'infini des images, l'omniprésence de la publicité, le narcissisme de notre époque et la fascination pour la célébrité dans une approche esthétique que n'avait jamais connue l'art auparavant. De fait, si l'on peut dire que Picasso est arnachie et pouvoir, Dali sexe et argent (Picasso avait fait de son nom l'anagramme Avidadollar), Warhol est certainement télévision et glamour narcissique.
Comme pour de nombreux artistes, la reconnaissance fut longue et son art fut longtemps perçu comme superficiel, voire totalement incompris à la fois du grand public et du monde de l'art. Une de ses toutes premières expositions où il présenta ses boites Brillo sérigraphiées, aujourd'hui reconnues comme des pièces iconiques de son oeuvre atteignant des prix record en vente aux enchères, fut un total échec commercial: aucune ne fut vendue alors qu'elles étaient proposées pour la somme qui semble dérisoire de 200 dollars chacune. Mais le succès lié à la Factory et ses Superstars, ses films controversés, son personnage médiatique et mondain (fin 70- et années 80) furent de son vivant, de constants véhicules de glamour. Il n'est pas étonnant devoir des applications comme Photoshop ou Instagram qui proposent en un clic la possibilité de créer des images totalement warholiennes, qu'il aurait probablement adorées. N'importe quel commentaire sur Twitter a un air warholien et les petits films créés avec l'application Vine ont le coté amateur et improvisé des films de Warhol et Morissey qui sont devenus un genre à eux seuls. BillyBoy* est de l'avis que " Comme l'Age de pierre, qui fut celui de Fred Flintstone, l'Age de fer, l'Ere industrielle, nous vivons actuellement dans l'Ere de Warhol."
Le prophétique et ultra connu mot de Warhol ("Dans le futur, tout le monde sera célèbre pendant 15 minutes") s'est depuis longtemps réalisé à travers les émissions de télé-réalité et plus particulièrement les vidéos postés sur Youtube (Warhol se lassa de cette citation qu'on lui rabâchait trop et lui préféra sa nouvelle version : "Dans 15 minutes, tout le monde sera célèbre"). Le concept de la télé-réalité est en lui même totalement warholien, puisque les personnes les moins susceptibles de l'être peuvent devenir célèbres simplement parce qu'elles apparaissent à l'écran et que leur banalité ( mais aussi parfois leur intérêt ou leur talent) peuvent être visionnés à l'infini. Le revers de la médaille, si l'on peut dire, c'est qu'aujourd'hui tout le monde peut croire en ses propres illusions narcissiques, ce qui résulte en un gigantesque galimatias d'auto-proclamations et de prétentions, de frustrations, de colère et d'agressivité. Il suffit d'entendre certaines histoires racontées par les Superstars de Warhol, dont certaines ne font pas mystère de leur amertume de n'avoir pas rencontré un succès ou une reconnaissance à la hauteur de leur statut purement honorifique. Légendes pour la plupart, bien peu on vécu une vie de privilèges à l'abri des soucis matériels comme on l'attend d'une célébrité, à plus forte raison d'une (super) star.
Un sourire énigmatique pour notre époque
Lala Jean Pierre Lestrade
Février 2014.
*Dali On Modern Art, Dial Press, New York 1957.